Une passion ingrate

Pour se COVIDez la tête, certains auteurs du jour osent taper directement dans le dur et foncer dans le tas, tels les Kylian Mbappé et les Brendan Gallagher du marasme ambiant pandémique ! Ils n'y vont pas par quatre chemins, taclent et attaquent en revendiquant haut et fort que « la COVID ne m'empêchera certainement pas de... Manger, de Dormir, de Faire ma lessive ou d'Aller voir mon père » !
D'autres, qu'on pourrait qualifier de N'Golo Kanté du confinement/déconfinement/re-confinement/et bis/et re-bis, font plus dans la nuance et le positivisme, préférant adjoindre un verbe plus génereux au terme covid'rien. Et de nous proposer : « Le Coronavirus me permet... d'Aimer encore plus, d'Avoir davantage de temps pour moi, de m'Jeter un petit extra de mojito derrière la cravate, de Respirer, de Rigoler, de PRO-FI-TER » !
Mais il existe une troisième et dernière catégorie parmi les sondés, qui ne s'inscrivent dans aucune des deux questions simples posées par LaquéeBecOise... celles et ceux pour qui la pandémie mais surtout le confinement a permis de faire émerger des passions, de porter et même de transporter des projets au-delà des frontières du rêve. Davantage de temps à notre disposition ? On mange, on dort, on boit un mojito et on... rêve ! On rêve de l'impossible qui, à la faveur d'un intermède inespéré, peut devenir possible. Ce qu'on imaginait irréalisable à la lumière d'un quotidien bousculé, devient réalisable. La petite graine de folie qui tendait timidement à se percer un chemin au travers de la masse de tâches utiles et inutiles générées par le Métro-Boulot-Dodo peut enfin venir fleurir au soleil ! Let's Go ma fille, tu peux écrire ! Vas-y mon gars, cultive ta vigne !

Car il s'agit bien de cela. D'un gentleman-ingénieur qui, à la lumière d'une baisse de charge professionnelle chez l'employeur le plus connu de la région, a décidé d'avancer quelques pions de plus sur l'échiquier de son ambition, peut-être démesurée d'après certains, à devenir gentleman-vigneron !
Dans les faits, en fin d'année 2020, Antoine a obligeamment répondu à mes questions existentielles par la contribution suivante :
La Covid ne m'empêchera jamais de prendre l'air, de randonner dans mon grand jardin de privilégié, de faire le tour de mes vignes et de mes champs, de me connecter à la nature et aux saisons, de sentir la fraîcheur hivernale sur mon visage, d'apprécier les mille couleurs des saisons, et de... rentrer les bottes crottées !!
Vivre sa passion mais surtout vivre de sa passion, voilà ce à quoi aspire Antoine ! Sauf que - même si LaquéeBecOise que je ne suis, des étoiles pleins les yeux, ne voit que l'aspect prestigieux et exotique du métier, m'imaginant très bien en train de siroter nonchalamment un verre de ma dernière cuvée au pied de mes ceps bien taillés - cultiver la vigne demande du travail, beaucoup de travail. C'est une passion effectivement bien ingrate...

Son plan de match : quelques terres qui lui appartiennent et qu'il ensemence graduellement du fruit de sa passion + des vignes en fermage qui lui permettent de lancer dès à présent une petite production + un chais construit de ses mains où se vinifie actuellement sa première vendange + un hangar, aussi de conception et fabrication personnelles, qui abrite le matériel agricole et vinicole + un emploi prenant mais qui a l'avantage d'offrir une certaine souplesse dans les horaires + une famille + un chien + des poules + des ruches... = un vin qu'Antoine veut full-total bio d'ici 2024 !
Mais en attendant, il faut...
Ficher à la force du poignet et de la massue les piquets et tirer les fils de fer auxquels viendront s'accoler les sarments,
Planter les tiges qui serviront de tuteur aux nouveaux pieds mais qui, surtout, permettront au palpeur automatique monté sur le tracteur de ne pas charcuter lesdits petits plants lors de l'opération de désherbage mécanique des rangs,
Débroussailler et déroncer les vignes en fermage qui n'ont pas été exploitées depuis des années,
Tailler, épamprer, effeuiller,
Traiter, retraiter et re-retraiter à la bouillie bordelaise et aux autres fongicides bio pour éviter le mildiou qui sabrerait toute la récolte,
Arroser, arroser, arroser parce que ici, dans le sud de la France, l'été y fait chaud en torpinouche !
Vendanger, fouler les raisins, mettre en cuve, lancer la macération, filtrer le marc et... goûter pour surveiller le processus de vinification !
Mais aussi :
Faire des demandes de subvention, mettre en place un sentier écologique traversant les vignes pour étayer son dossier de subvention, se faire accepter au sein du cercle pur et dur des vignerons du terroir frontonnais, choisir ses cépages pour les prochaines vendanges - négrette, malbec ou cabernet franc ? -, trouver l'assemblage parfait qui donnera sa personnalité au vin, ébaucher un site internet pour se faire connaitre et vendre ses bouteilles, brainstormer pour trouver une appellation au domaine et aux cuvées de l'année, réparer le tracteur en panne, et cetera, et cetera...
La liste du labeur est sans fin. Et y'a de quoi s'y perdre.
Le travail de la vigne, c'est définitivement ingrat... Mais qui dit passion, dit motivation et cela, notre gentleman-ingénieur-vigneron n'en manque pas !

Antoine, je lève mon verre à ta santé en attendant de goûter à cette cuvée 2020 ! Et MERCI à Paul d'avoir inspiré le titre de cet article...